ÇA VA D’ALLER… Y A PAS D’AVANCE

J’AI LU, J’AI AIME ET JE PARTAGE…

« Ça va d’aller… y a pas d’avance », de Girolamo Santocono
Editions du Cerisier, 249 pages, 14 euros

N’y allons pas par quatre chemins ! Ce livre est formidable, et son titre, c’est déjà tout un programme (prometteur), qui fleure bon la terre rouge et noire du Hainaut, celle également de ma propre enfance et adolescence du côté de La Louvière.

Je connaissais déjà les deux premiers bouquins de Santocono : « La Rue des Italiens » (1986, ce fut un vrai best seller local…) et « Dinddra » (douze ans plus tard). J’y avais été émerveillé par la gouaille (le style que j’affectionne) de l’auteur (né en 1950, fils de mineur italien), avec ce regard d’une infinie tendresse porté sur sa région et ses gens..

Je me suis donc empressé de lire son troisième opus, me pourléchant par avance les babines. Un ensemble de nouvelles, cette fois. J’ai ouvert les premières pages, avec une légère appréhension : allais-je y retrouver cette forme truculente bien à lui ? Car je dois l’avouer, les histoires courtes (les plus difficiles aussi à écrire) ne sont pas a priori mon genre préféré ; quand le récit me prend, je suis ainsi sentimental, j’aime que cela dure…

Et hop, « ça va d’aller » commence sur les chapeaux de roues, avec un rythme s’accélérant, jusqu’à une chute (l’art de la nouvelle) impeccable. Chaque nouvelle (elles sont quatorze au total) est riche en émotions et en humour, de l’humour doux amer… à l’italienne…

Dans cet entrelacs de brèves histoires, des images reviennent comme un rêve de gosse repassant en boucle : celles des vieux trams jaunes de la Région du Centre, conduisant jadis en chaque bourgade les ouvriers se rendant au boulot, celles des anciens matchs pittoresques de balle pelote, ou encore ce souvenir de ciel flamboyant - vert, jaune, rouge - lorsque l’acier liquide était coulé aux usines Boël. Puis la crise est venue. Fini les lucioles multicolores dans la nuit ! Bonjour, les files de chômeurs aux guichets de pointage. Et partout, des ruines industrielles plus tristes que la pluie, même plus fumantes, et l’écologie aussi mise à mal !

Malgré tout, le Hainaut résiste vaillamment, avec les moyens du bord - l’humain, sa potion magique - à l’air maussade du temps, à l’instar du village gaulois d’Astérix. Le Hainaut fraternel et rebelle ! Le Hainaut et son chantre, Girolamo Santocono, qui, de si belle façon, trouve les mots pour le dire, et nous affirme que, oui, la vie est très belle, à condition de jamais ne se résigner. « ça va d’aller… y a pas d’avance »….

Jean Lemaître

Résultats de recherche pour « santocono » – Les plaisirs de Marc Page par Willy Lefèvre

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ÇA VA D’ALLER… Y A PAS D’AVANCE – Girolamo Santocono
Éditions du Cerisier 2018 – ISBN 9782872672134

Recueil de quatorze nouvelles se déroulant notamment en Italie, pays natal de l’auteur, et en France, dans la région Centre. Avec la verve qui le caractérise, l’auteur raconte des histoires truculentes ou malicieuses à partir de situations quotidiennes et banales ou de parcours de vie hors norme.

… Je me suis habituée à la Belgique, à la pluie, à la neige, au gel, au brouillard, aux ciels sans lumière ; le soleil de mon village ne me manque pas et je me trouve plutôt bien dans cette succession de climats. L’enchaînement des saisons accélère le temps et…
Toujours de bonne humeur, toujours une petite chanson au bec, on a l’impression que les adversités lui glissent dessus comme la pluie sur un ciré. pourtant on ne peut pas dire que la vie l’a épargné…
Dehors, le soleil brille toujours comme une pépite au milieu du ciel, les passants marchant le sourire en bandoulière…
A cet instant précis, s’appuyant sur l’air épais, une petite plume descend lentement du ciel. Fred se raidit. Ses yeux suivent la trajectoire du petit flocon qui dessine quelques
délicates arabesques au-dessus de sa tête avant de venir se poser sur le bout de son nez. Fred s’immobilise. Avec une infinie précaution, il prend la plume entre deux doigts, l’observe sous toutes ses coutures puis, la mine réjouie, la relance dans les airs d’un coup de souffle.
– Oui, c’est ça ! Vole petite merveille, montre-moi comment il faut faire…
Des bruits de bottes de la Prusse orientale, au village du centre de la Sicile, le lecteur prend vite l’habitude de voyager. Naissances et décès ponctuent le temps. Mais quand le Roi n’est plus là, la cour se volatilise ; et quand il meurt, un autre prend sa place… au suivant de se résigner à vendre quelques dizaines d’hectares pour renflouer les caisses. Vendre de la terre ! Quelle déchirure. Le père doit se retourner dans sa tombe…
Les années cinquante s’achèvent, le village est désormais vide, les hivers sont mornes malgré le soleil et les printemps mortels malgré les fleurs. La passeggiata, jadis lieu privilégié pour les rencontres, n’est qu’un défilé de vieux qui attendent tous le retour de leurs enfants partis en Belgique… Ah ! La Belgique ! Cette foutue nouvelle Amérique !

Né en Sicile en 1950, arrivé en Belgique en 1953. Une enfance heureuse dans les baraquements et une adolescence heureuse à Morlanwelz. Licencié en sociologie, ex-animateur/directeur du Centre culturel de Chapelle-lez-Herlaimont, Girolamo Santocono a de nombreuses expériences tant en théâtre qu’en musique et cinéma.

Dernières nouvelles de Santocono, au Rockerill | Entre les lignes

in Entre les Lignes

Dernières nouvelles de Santocono, au Rockerill
CHEMINS DE TRAVERSE par Marcel Leroy,
le 08 décembre 2018

Sacrée atmosphère en ce premier dimanche de décembre, au Rockerill. Les gens étaient venus par centaines pour se laisser aller à la dérive dans les travées du marché vintage. Ils buvaient du café, de la bière et du vin, bavardaient à perte de vue, décrochaient par exemple une veste d’officier de son cintre pour fixer ensuite leur attention sur la pochette d’un vinyle rescapé d’où ne sait où. En parcourant les titres d’une pile de 33 tours il arrive de découvrir un peu la personne qui les aura aimés. Idem pour les livres, les meubles, les lampes, les bottes, et les mille autres objets en quête d’acheteurs. Au beau milieu de ce grand cirque, Michaël Sacchi, l’esprit du lieu, discutait des grands boxeurs qui ont connu la gloire des rings de Charleroi et du reste du monde. Salut à Kid Louis, qui est un des derniers grands témoins d’une mémoire que Michaël recueille jusqu’à en avoir le tournis.

Dans ce tohu-bohu terriblement sympathique, des auteurs ont fait une apparition sur une petite scène. Parmi ces écrivains, Evelyne Scrève, Christian Duray et Girolamo Santocono, que tout le monde appelle depuis toujours Toni. Il restera à jamais dans la peau du gamin du Centre qui a sorti, en 1986, son « Rue des Italiens » aux éditions du Cerisier. Cet ouvrage raconte la vie des immigrés italiens qui reconstituaient un pan de leur vie au soleil dans le pays de la pluie et des terrils. Trente ans après, ce bouquin raconte l’histoire commune des gosses des cités, toutes origines confondues. La vie était dure au pays des osso-bucco-frites, mais Toni en garde un souvenir lucide autant que chaleureux. Vint ensuite « Dinddra ». Puis Toni fit de la musique et dirigea le centre culturel de Chapelle-lez-Herlaimont pour, arrivé à la retraite, reprendre la plume comme un pic pour arracher des éclats de vie au coin de terre qu’il n’a jamais quitté, et les mettre sur papier comme on retiendrait par coeur une histoire cent fois entendue, écoutée, répétée. Une chanson de geste.

Déjà, ce titre, issu de ce parler de tous les jours pratiqué dans le sillon industriel wallon, du Borinage à Liège en passant par le Centre et Charleroi. Une philosophie et une volonté de résistance, que ce « Ca va d’aller...y a pas d’avance ». Le leitmotiv désenchanté mais pas désespéré de celles et ceux qui luttent au jour le jour pour rester debout, alors qu’autour d’eux, l’économie s’est écroulée, laissant un cortège de chômeurs derrière elle et de richards qui se foutent de la planète. Toni se lance à l’assaut du grand capital qui brouille les trajectoires humaines pour le railler. Il balance 14 nouvelles comme autant de tableaux/récits qui tiendraient en haleine le public d’un café de joueurs de cartes bien plus d’une veillée de Saint-Eloi. Rien que le titre, tout un poème. Ascouté bé : « Une tombe pas comme les autres », « Ca va d’aller », « Silence », « Mariuzza », « Berthe », « Gérard, la vengeance du grand », « Le ciné-club », « Le dernier chômeur », « Les yeux de Marie-Yvonne », « Rosina, la châtelaine », « La boulonnerie », « La lune de la mer du Nord », « Le tram » et « Le mur, conte écologique ».

En lisant, on croit entendre la voix de Toni dire une histoire entre deux bières pour des copains de rencontre qui se reconnaissent sans s’être jamais croisés. On retrouve le ton. Unique. Narquois, profond mine de rien, rêveur et déterminé, bariolé d’un humour acide jamais féroce. Il esquisse des silhouettes qui seraient bien un peu les nôtres, redessine des lieux obscurs, brocarde les vantardises, se fout du pouvoir, aborde la guerre, l’amour, le travail, l’environnement, sans jamais avoir l’air de se prendre pour quelqu’un d’autre que le gamin des cités qu’il êst resté, au fond de lui. Pourtant, quand on arrive au bout du livre, on sait que l’on ne regardera plus ce petit café d’habitués sans penser que se retrouver avec des potes peut vous sauver la vie, que l’on ne croisera pas un tram bondé du pré-métro carolo sans penser aux destinées diverses qu’il emporte, de se balader dans un cimetière sans s’arrêter pour déchiffrer à haute voix un nom gravé dans une pierre sur laquelle personne depuis belle lurette ne s’est penché. On attend la suite de « Rue des Italiens ». Toni va s’y mettre, c’est promis, juré, sans rigoler. Il l’a dit, entre deux blagues, au Rockerill. Autant dire dans une église, alors c’est sacré.

Girolamo Santocono, Ca va d’aller…Y a pas d’avance, Cuesmes, Cerisier, 2018, 250 p., 14 € | AREAW

Gens d’ici, gens venus d’ailleurs dans un décor de Borinage avant et après la crise économique

Les nouvelles contenues dans ce livre alignent une galerie de personnages dont l’existence est restée confinée dans un territoire où la fortune fait défaut, où l’ambition stagne tandis que le quotidien s’englue. Pourtant aucun d’entre eux, à défaut d’être heureux, n’est foncièrement malheureux.

Certains, comme l’auteur, appartiennent à l’immigration italienne en Belgique au milieu du XXe siècle. Voici Carmela et Igor ou l’improbable rencontre entre un laideron et un unijambiste au Borinage. Voici Mariuzza sans nouvelles de son époux migré vers le Hainaut depuis la catastrophe de Marcinelle qui part sur ses traces. Le fils d’un rital intégré tente de devenir ’marqueur de chasses’ dans une équipe de balle pelote afin de séduire une jolie rousse. La concierge d’un château appartenant à un industriel, veuve d’un autre émigré, se retrouve seule dans un bâtiment abandonné depuis le déclin de l’usine de son patron. Le fils d’un mineur découvre la mer du Nord et apprend à draguer le jour où le premier homme a marché sur la Lune.

« Silence » amène à se demander si la révolution politicosociale ne réside pas dans une solidarité muette et collective. « Ça va d’aller » pour un Montois embarqué malgré lui vers la maternité par un accouchement urgent. « Berthe » pose la question de savoir comment se comporter si, lors d’un mariage, il y a un décès soudain parmi les invités.

Le petit Gérard, souffre douleur de ses copains de classe, se voit promu élu local avec pouvoir sur ses électeurs. L’animateur du ciné-club se bat avec des installations pourries. Le préposé du pointage au bureau du chômage à l’époque où les contrôles étaient permanents fait grève au péril de son emploi. Un ancien travailleur se persuade qu’il a une mission à accomplir lorsque la boulonnerie désaffectée au pied d’un terril se met à fumer et à cliqueter comme lorsqu’elle produisait. Le conducteur du tram qui sait que le bus le remplacera redécouvre tout ce qu’il a connu au musée de la Vie wallonne. Cela se termine sur un conte écologique aux allures de fantastique en un territoire que l’industrie a fini par polluer.

Santocono nous revisite les décors du Borinage, ses usines et ses terrils, avec ses usages de cuisine et de boissons, ses manifestations festives et sportives. Il rappelle un quotidien ouvrier avec ses rêves et ses réalités. Il nous ramène du pittoresque assaisonné de dialectes wallon et latin. Les gens qu’il nous permet de côtoyer avec un brin de nostalgie sont dépeints avec le sens du détail qui marque, qui amène à sourire ou à s’attendrir.

Michel Voiturier

Rencontre : les belles histoires de Zio Toni | Télévision locale de la région du Centre