J’IRAI PLUS LOIN

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Giovanni Lentini

J’irai plus loin

(Editions du Cerisier, Cuesmes, 2015)

Voici un roman qui se lit d’une traite, comme on suit le trait d’un coup de scalpel que trace le train des navetteurs parfois bien égarés sur la carte d’un géographie mentale passablement abrutissante.
A bord de ce train (est-ce un train de vie ?), nous observons dans le détail l’existence étriquée d’un véritable microcosme de société : c’est le tableau sans concession d’un monde contemporain dominé exclusivement par l’exploitation du travail, la consommation et les mille manières de se trouver littéralement pris en otage par un modèle social (disons plutôt : asocial) dont la seule idée maîtresse qui est encore valorisée est celle de la rentabilité économique, au détriment des formes les plus élémentaires d’humanité.
L’humanité, précisément, c’est cette femme qui un jour va se débarrasser de ce qui l’aliène au plus profond : un insupportable manque d’amour et une vie familiale écrabouillée, réduite en charpie par le redoutable rouleau compresseur de la routine et du conformisme.
Rompant avec les mécanismes de l’oppression, elle retrouvera le chemin de la liberté dans une décisive échappée belle grâce à une rencontre poétique inédite, un choc d’authenticité et de créativité qui lui donnera la ressource nécessaire à toute prise de conscience réelle et à tout changement existentiel effectif, un éveil des sens salvateur permettant l’accès à une véritable nouvelle vie : une vie humaine digne de ce nom, et une vie qui vaut la peine d’être écrite.
L’écriture de Giovanni Lentini relève d’une sorte d’anthropologie littéraire à la fois pertinente, intransigeante, savoureuse, émouvante et même amoureuse.
Sans insister sur l’exercice d’équilibre permanent consistant pour un auteur masculin à écrire un personnage féminin (n’est-ce pas en soi le signe d’un rééquilibrage revendiqué des identités et des genres dans notre société ?), ses descriptions sensibles des scènes de la vie quotidienne donnent un relief remarquable à ce qui - en creux - constitue le regard acéré d’un sociologue sur la manière dont notre monde capitaliste en diable atomise les individus et parvient à transformer les sujets humains en objets de convoitise, corvéables à merci et même jetables si nécessaire.
Qui plus est : cela se passe près de chez nous, puisqu’il s’agit d’un roman de Belgique dont l’action est entièrement située entre Liège, Bruxelles et Ostende, sur la ligne droite d’un chemin de vie dur comme fer qui, nonobstant, peut parfois se transformer contre toute attente en chemin de liberté.

Jacques Dapoz